Nuit 2 : Je rêvassais dans la bulle transparente où je passais une nuit à la très belle étoile quand les premières ondes apparurent…
Ma première aurore boréale datait de 2006. Nous donnions un concert à Reykjavik avec Dionysos.
- Northern light in the Harbor ! Show time ! disait le message du programmateur sur nos téléphones alors que tout le groupe s’assoupissait à l’hôtel.
Le temps de sauter dans nos doudounes et de semi-courir sur le verglas, le spectacle se terminait. Nous récupérâmes à peine quelques miettes… Mais quelles miettes ! Phosphorescences en transparence sans-dessus-dessous les étoiles, coagulées dans les nuages.
Je me fit la promesse de revenir un jour, ou plutôt une nuit, pour en voir une autre sur l’écran géant du ciel.
Entre temps, je tomberais gravement malade. A l’hôpital, il m’arrivait de repenser à la bande-annonce du film d’aurore boréale que nous avions à peine goûté sur le port de Reykjavik. Je me jurais alors que si je me sortais de ce mauvais pas, mon premier voyage serait l’Islande.
Plus tard et bien que pas tout à fait remis de ma greffe, je retournerais, skateboard électrique à l’appui, traverser un bout d’Islande.
L’aurore boréale vous embrase pour toujours dès la première fois. La qualité d’émerveillement est fulgurante. Elle condense l’hyper présent avec une telle intensité que rien d’autre ne compte. Seulement le moment. On chuchote des « waouh » tout en se préparant un merveilleux torticolis. Le souvenir se grave dans ce que Kundera appelait la mémoire poétique*1. L’image, et la sensation de l’image donnent un goût de bonheur à vos pensées, longtemps. Cependant, il faut en voir plusieurs pour entretenir la saveur.
Je suis retourné quatre fois en Islande depuis ma première aurore boréale et j’ai eu la chance d’en contempler deux autres.
Cette fois ci, les conditions n’étaient pas optimales. « Too cloudy » comme ils disent. Pourtant, alors que mon esprit s’évaporait dans « Les poètes sont des monstres » de Christian Bobin, les étoiles sertissaient le dôme de ma bulle. Les nuages faisaient la révérence et tout à coup, une pincée de sel vert changea le goût du ciel.
Mon cœur se mit à battre. Un cœur de petit amoureux en classe de cinquième. Doudoune de bibendom Michelin sur pyjama gris à nuage, je filais vers l’écran géant de la nuit.
Au bord d’un champ de lave, le chant de love reprit en silence.
Des kilomètres de poudre phosphorescente, verte, puis rouge comme si tout à coup le soleil avait décidé de se lever sur la lune.
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